Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, n° 773, du 4 au 18 septembre 2019

 

Comment dégager, dans cette confrontation entre les candidats à la présidence, « le bon grain et l’ivraie » ? Comment choisir son candidat, parmi cette liste de personnalités honorables ? Quels termes de références peut-on faire valoir ? Comment distinguer les statuts des candidats, d’après leurs socles de valeurs, leurs itinéraires et leurs discours ? Le choix s’intègre dans l’étude des rapports de forces entre les candidats, leurs partis et leurs équipes. Des constatations primaires doivent être dégagées, fussent-elles souvent occultées par les rites de passage de l’opération électorale :

Absence de leaders : Définition formelle : Un leader est une personne qui est à la tête d'un parti politique, d'un mouvement, d'un syndicat. De fait, le leader est la personne qui, à l'intérieur d'un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement. Ce qui exige une capacité d’entrainement et de direction.  Or, à l’exception de Nahdha et  du parti destourien, les partis sont des rassemblements conjoncturels, sans vie politique, sans activité de formation, d’animation et de débats. Ce qui nie la prétention de leaders de leurs chefs. D’ailleurs seuls Nahdha et le parti destourien ont organisé des réunions populaires, dans la période pré-électorale.

Des machines politiques : Par contre, les plus importants partis disposent de machines politiques qui organisant leurs propagandes et construisant leurs systèmes d’alliances. En dépit de sa crise, Nida Tounes a réussi à remporter de bons résultats électoraux, résultats du rôle de sa « machine », de rassemblement et de communication. Les candidats sans partis, fussent-ils objets de consensus affirmés, risquent d’être distancés, lors de l’épreuve.

Historique et valeurs des dirigeants : Les électeurs tiennent compte des profils des candidats (formation, comportement, éthique) de leurs itinéraires  et de leurs définitions des enjeux, de leur style de communication, de leur parler et de leurs écoutes des citoyens. De ce point de vue, les débats des médias sont souvent trompeurs, car « la jungle » qu’ils mettent en scène inquiètent les électeurs et créent une démarcation entre eux et la classe politique. Les réseaux sociaux, confortés par «le bouche à oreille » constituent, de fait, les moyens de communication des candidats et de leurs concurrents.

Enjeux idéologiques : La démarcation entre l’islam politique et la mouvance démocratique ne devrait point être perdue de vue. Mais l’examen des profils montrent de nombreux candidats islamiques, partisans de l’établissement de la charia et de nombreux candidats affirmant leurs discours nationalistes, bourguibistes ou pseudo-bourguibiste (Tahya Tounes, Nida, Machrou). Comment saisir le niveau différentiel d’ouverture des candidats ? L’absence de programmes des candidats ne peut contribuer à les distinguer et à faire valoir des promotions.

Une culture politique défaillante : Les débats traduisent des guerres pour les charges gouvernementales. Occultant les programmes, les candidats développent des discours auto-élogieux, de promotion personnelle. Cette indigence est confirmée par l’absence de slogan ou de certaines plagiats de slogans de dirigeants politiques français, qui ne correspondent pas à la réalité politique tunisienne : Exemples évidents « la force tranquille » de François Mitterand, ou «la Tunisie est  forte » sinon « we can ».

Rupture ou continuité : Soucieux de faire valoir leurs attentes, appréhendant la crise sociale, l’endettement, la précarité, le chômage, les électeurs feraient valoir leurs exigences de rupture. De ce point de vue, Tahya Tounes, Machrou et Nahdha et leurs candidats seraient volontiers considérés comme des acteurs de continuité.

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Dans ces conditions, trois ou quatre candidats sortent du lot et bénéficient d’une certaine audience. Ils affirment leurs initiatives et explicitent leurs volontés. L’absence de vision nourrit une inquiétude générale, susceptible d’affecter la participation électorale. Une minorité ose cependant espérer une amélioration de la situation. Il partagerait cette sagesse de Keefe Sencen : . "Parfois, les choses ont besoin d'être pires avant d'être meilleures."

Paradoxe évident : les électeurs font valoir leurs attentes sociales et les présentant comme priorités. Or, le régime plutôt parlementaire  réduit la gouvernance du président, qui peut faire valoir une vue d’ensemble, rappeler à l’ordre, recommander, mais il n’a pas la possibilité d’exercer une gestion directe des enjeux sociaux. Est-ce à dire, que les électeurs considèrent la présidence comme «un palais de miracles», lui attribuant spontanément les prérogatives du président d’antan ? Et ne perdons pas de vue, les nostalgies de l’ère bourguibienne, le  statut du président leader, l’affirmation de l’autorité de l’Etat  et le désintéressement de ses compagnons.