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Qui sont les barbares ?

Pr. Khalifa Chater

 

‘’Tout acte manqué est un discours réussi’’ (jacques Lacan)

 

Comment définir ce livre de Youssf Seddik ? L’auteur se présente comme un penseur d’islam. Journaliste, il a été reporter de guerre, au Liban, en Egypte et au Yémen. Désormais, il s’adonne à la réflexion et tente de se définir et de définir son aire arabo-musulmane et celle ‘‘des arabes, habitant la spiritualité islamique, sans en être forcément, en être habités’’ (p. 28). Quant à lui, il perçoit l’islam ‘’non comme une prison mais un horizon de délivrance, de fierté, de créativité et d’amour pour les humains, tous les humains’’.

Tout en assumant la culture occidentale : Ovide, Baudelaire, Shakespeare et Sénèque, il constate qu’elle le rejette, en tant qu’étranger. Il vit ‘’son exil dans les démocraties des autres et de fils indigne de la culture de sa mère et de ses siens’’ (p. 18). Mais il définit sa culture avec fierté, puisqu’elle a pu ‘’rejoindre et féconder la pensée du monde’’ (p. 19).

Son héros et son modèle est Averroès (Ibn Rochd), philosophe, théologien, juriste et médecin musulman andalou de langue arabe du XIIe siècle, né le 14 avril 1126 à Cordoue en Andalousie et mort le 10 décembre 1198 à Marrakech au Maroc. Il n’a été redécouvert en Islam que lors de la Nahda au XIXe siècle, la Renaissance arabe, durant laquelle il inspire les courants rationalistes, réformateurs et émancipateurs. Dans son œuvre, Averroès a mis l'accent sur la nécessité pour les savants de pratiquer la philosophie et d'étudier la nature créée par Dieu. De ce fait, il pratique et recommande les sciences profanes, notamment la logique et la physique, en plus de la médecine. L’auteur regrette l’oubli, au moins durant sept siècles de ce penseur qui a transfiguré le paysage par ‘’la légitimation de l’entreprise de philosophie et du renvoi du théologique à ses mirages’’ et la prise en compte de l’œuvre De Ghazali (p. 21). Le refoulement d’Ibn Rochd aurait verrouillé le discours théologico-politique et mis en échec la pensée inspirés prophétique.

Conclusion de l’auteur :’’une restitution aujourd’hui du souvenir d’Averroès nous permet de nous retirer de douze siècles de misère religieuse’’ et de faire échec ‘’aux manœuvres des machines du pouvoir affiliées à des clercs faiseurs d’illusions’’ (p. 24). Averroès serait, un acte manqué, c’est-à-dire selon l’adage ’Tout acte manqué est un discours réussi’’ (jacques Lacan)

Sedik affirme que la parole coranique aurait marqué une sortie du religieux. Or, il estime qu’on n’a jamais lu le Coran, c’est-à-dire comprendre sa signification globale. Sa perspective de lecture coranique fait valoir trois perspectives : celui de la métaphore, celui de la Révélation et celui du Livre. Rêve de l’auteur, le rejet des ‘’sarcophages du sacré’’ p. 36).

Dans son chapitre ‘’Ulysse et le manifeste de l’occidental’, l’auteur affirme que la constitution de l’esprit grec fut l’objet d’une rupture avec les sources mésopotamiennes et méditerranéennes.

Relisant la genèse de l’islam, l’auteur cite Abu Hayen at-Tawhidi, qui estime que les différentes générations des compagnons du prophète ont occulté la pensée de la première génération. Il affirme que le prophète, à la fin de sa vie, aurait été ‘’incapable de répondre d’une façon convaincante et philosophique’’, alors qu’il fut « le sceau des prophètes », celui qui les dépasse tous par l’interrogation sur la nature de la prophétie. Leit motive de l’auteur, le détournement de la pensée coranique par les clercs.

D’autre part, l’auteur affirme que ‘‘son vécu s’inscrit dans un islam de terre que des idéologies anciennes ou plus moins récentes ont transfiguré et subverti, rendu étranger à son éclat premier’’ (p.77). Il estime que l’islam s’est affirmé, défini et enrichie par le leg des civilisations anciennes de Mésopotamie et d’Egypte. Conclusion de l’auteur le Coran n’est que ‘‘la ré mémorisation et la synthèse’’ de ce leg historique ? Faisant valoir la différence avec le christianisme, fondé sur le péché originel, il affirme l’importance de l’opposition entre l’agriculteur Cain et le pâtre Abel, les deux enfants d’Adam.

Vers l’inconnu !

Pr. Khalifa Chater

 

‘‘La plupart des hommes ont des incidents. Quelques-uns ont des destins.’’ (Louis Pauwels, Blumroch l'admirable, Éd. Gallimard, p. 129)

Les acteurs politiques tunisiens ont formulé, lors de la révolution, d’importantes revendications politiques, sociales et économiques. Ils s’érigèrent en vendeurs de rêves. Nouvelle donne, ils sont désormais résignés. Le gouvernement a opté pour le libéralisme, qui supposerait, selon ses auteurs, un développement spontané. Fait évident, la crise perdure, occultant toutes velléités de changement.  Or, ‘‘Quand un peuple ne défend plus ses libertés et ses droits, il devient mur pour l’esclavage’’ (Jean Jacque Rousseau).

D’autre part, le gouvernement subit une pression politique et migratoire. Nouveau souhait des jeunes tunisiens, ‘‘il faut déguerpir !’’. L’horizon méditerranéen et l’émigration vers l’Europe et peut être l’au-delà alimentent leurs rêves. Changement de perspectives, la nostalgie des hommes de Nahdha n’est plus à l’ordre du jour, occultée par la quête d’un avenir européen.

Le mémorandum signé par la Tunisie avec l’Union Européenne réactualise le partenariat et annihile les velléités d’émigration vers l’Europe.  Il ne livre pas de calendrier pour une mise en œuvre des actions convenues. De fait, il s’agit d’un contrat contraignant. Une somme ridicule serait donnée à la Tunisie pour l’arrêt de l’émigration et, de mettre fin, si possible, à l’émigration africaine, à partir des côtes tunisiennes.

La population tunisienne est favorable à la mutation, qui est évidemment liée au progrès. Les mutants ne sont-ils pas la mémoire du futur ? (Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, introduction au réalisme fantastique, Gallimard, collection Blanche, 1960. p. 626). La population envie le sort des pays du Golfe. Ce paradis des nouveaux riches suscite son admiration.

La pénurie du pain, de l’huile et du sucre suscite l’inquiétude générale. Le gouvernement devrait réagir.. Comment répondre aux vœux des citoyens. Il faudrait, au préalable, les identifier.

Le Président de la république détient l’essentiel du pouvoir, s’accommodant des survivants politiques. Il dicte régulièrement ses ordres au gouvernement. Mais il n’a pas d’objectifs pour résoudre la crise économique et sociale. Il s’est retranché derrière le rempart d’une indifférence ostensible et laisse faire. Or, il faut redresser la barre, faire un diagnostic sérieux et réagir en conséquence. Il faut aller à l’essentiel. L’écartement de Mme Nejla Bouden fut un acte gratuit. On ne connait pas les compétences du nouveau chef de gouvernement. L’antibourguibisme ne peut constituer un programme. Il remettrait à l’ordre du jour la politique de la troïka et de sa fameuse décennie de repli identitaire.

L’UGTT, qui affirme sa solidarité avec les citoyens, fait valoir la nécessité de traiter la question de la pénurie alimentaire.

Fait évident, ‘‘il ne faut pas confondre la vérité avec l’opinion de la majorité’’ (jean Cocteau).

L’éthique de révolutions de Yadh Ben Achour

Pr. Khalifa Chater

 

Dans l’introduction Yadh Ben Achour définit la révolution : ‘‘C’est, dit-il, la confrontation des droits et des intérêts, la guerre des statuts et des positions, (qui s’inscrit) au grand compte des pertes et profits ‘‘les révolutions, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours répondent à ce vœu : ‘‘Comment en finir avec la servitude, la pauvreté, l’humiliation. Commnt faire pour soulager ou supprimer la condition souffrante ? (p. 14). Ainsi la condition souffrante constitue la problématique centrale de l’auteur. Le ‘‘combat contre la souffrance, affirme l’auteur, est un combat toujours ressuscité, toujours criant espérance’’ (p. 17).

Etudiant le concept de la révolution, l’auteur affirme qu’il aurait subi une mutation, ‘‘passant du stade de la pensée analytique, à celui de l’action, de l’historiographie à l’idéologie du métier d’historien, à celui de militant‘‘ (chapitre penser la révolution, p. 33). Rejetant l’affirmation européocentriste, explicitée par Martin Malia qui que le phénomène historique est propre à l’Europe et à l’Amérique, Yadh Ben Achour nie cette restriction et affirme que le phénomène révolutionnaire est ‘‘l’axe principale autour duquel évolue toute l’histoire de l’humanité’’ (p. 35). Mais la révolution pourrait ‘‘provoquer un retour de manivelle et une contre-révolution culturelle’’ (p. 38). Alors que la révolution américaine est une révolution indépendiste et politique, la révolution tunisienne s’expliquerait par le fait que la dictature avait trahi l’éthique du gouvernement (p 9). L’auteur esquisse une comparaison avec les révolutions de la Russie, en 1917 et de la Chine, en en 1949, la révolution française serait une révolution d’élite.

Yadh Ben Achour rappelle l’historique des révoltes-révolutions en Tunisie (la grande révolution de 1864 et celle de Kasserine et de Thala, en 1906, celle des Oudernas en 1915 et celle des Merazighs en 1944.  Il estime qu’il existe une causalité plus forte entre la révolution tunisienne et les mouvements protestataires syndicaux contre le Néo-Destour (p. 51). Nous ne partageons pas cette appréciation hâtive, vu que les révolutions précédentes étaient d’essence rurale et souvent tribale, sans relation, avec le pays centralisé actuel.

Etudiant les expériences historiques à l’origine de révolution, il évoque le rôle du siècle d’ord néerlandais, où la pensée de Spinoza (1650-1750, fut le vrai siècle européen des Lumières, où les idées essentielles révolutions modernes y trouvèrent leur source (chapitre 2, pp. 55-57). ? Dans cette genèse des révolutions, il rappelle celles d’Angleterre, d’Amérique et de France. Où s’affirmaient la liberté de conscience, l’égalité citoyenne, la disparition de la féodalité, enfin l’idée de la république.  L’étude de l’expatriation de la révolution française expliquerait les mouvements réformistes, dans le monde musulman et essentiellement en Turquie. Mais l’auteur occulte le contexte de la dépendance et de l’ère précoloniale, ou les puissances imposèrent les réformes qui les servent. L’auteur rappelle à cette occasion, l’influence de l’éthique de la révolution, sur Tahtawi, Khéreddine, San Yet-Sen, Ataturk, Senghor, Bourguiba et Chou Enlay (p. 85).

Tout changement de régime implique de mutations que l’auteur érige en révolution. Ce qui l’amène à réécrire l’histoire musulmane, dans sa continuité : les révolutions fondatrices d’empires ou d’’émirats (les Abbassides. Les Fatimides, les Almoravides, les Almohades, les Shabiya, la révolution de Sokoto de Othman Dan Fodio et les luttes pour l’indépendance.

Il conclue son analyse par l’étude des révolutions du monde musulman actuel (pp.249-258). Il distingue

  • ‘‘les défenseurs d’une pensée révolutionnaires, aux confins de la pensée laïque, celle de Ali Abderazik et de Tahar Haddad
  • Et d’un autre côté, une pensée radicalement tournée vers le temps inaugural, comme Said Kotb et Khomeyni’’ (p. 249).

Exemple illustre de la pensée moderne Kamel Ataurk, qui aurait été, selon l’auteur inspiré de la révolution française. Il a mis fin au système choraïque juridique, interdit le port du voile, supprima l’alphabet arabe, interdit le port de la fez, dans l’espace public, remplaçant le vendredi par dimanche comme congé hebdomadaire. Il supprima le califat et inscrit la laïcité dans la nouvelle constitution. Opinion excessive et non fondée, Habib Bourguiba aurait été un simple imitateur d’Ataturk (p. 251). Différent du chef d’Etat turc, Habib Bourguiba est un homme de grande culture qui a une pensée moderniste personnelle, qui explique son adoption du Code de Stat Personnel, transgressant les velléités d’abolir l’alphabet arabe ou de changer le jour du congé hebdomadaire.

 La révolution iranienne de 1979 aurait ‘‘redéfini l’universel en le rétrécissant au seul monde musulman’’ (p. 252). Ella aurait été ‘‘une révolution totale, entrecroisant les champs politiques, religieux, culturel et constitutionnel et refait la carte stratégique’’ du monde musulman. Elle inventa, selon Ben Achour, ‘‘une nouvelle forme institutionnelle, celle wilayet el-Féquih, théorisée par Khomeyni, dans ses discours’’. Ce principe de théocratie cléricale ‘‘ est devenue la clef de voute de sa constitution de 1979’’ (p. 253). Contrairement à la dynastie des Pahlavi et son souci de l’iranité préislamique, elle se réclamerait selon Ben Achour, de l’identité islamique du chiisme.

Dans le chapitre deux, l’auteur étudie les révolutions serviles et indépendistes.  Il évoque, dans ce chapitre, la libération des esclaves noirs, par Ahmed Bey, en 1846. Donnée importante que Yadh Ben Achour occulte, il s’agit d’une interdiction d’une pratique, bel et bien autorisée par l’islam, à l’exemple de l’abolition par Habib Bourguiba de la polygamie, rappelle la révolte des Zanjs, en 866- 883, qui en ‘‘n’étant pas religieuse adopta les thèses religieuses et égalitaires du kharijisme’’ (p. 265). La révolution de Haiti, à la croisée des mouvements antiracistes, des révolutions serviles abolitionnistes et des révolutions indépendistes (pp. 267 – 279).

Dans la partie Six, l’auteur étudie les révolutions africaines et dans le monde arabe. Faisant valoir le panafricanisme (pp. 299-315). Faisant valoir ‘‘la surchauffe idéologique’’, il distingue le nationalisme d’Etat, à la Bourguiba, le socialisme islamique et le salafisme, et précise leurs aspects différentiels : islamisme contre sécularisme, nationalisme arabe contre nationalisme étatique, marxisme contre libéralisme, dans le cadre des dynamiques révolutionnaires.

Dans sa conclusion, il met en valeur la demande démocratique, vouée à l’échec.

Une démocratie littérale ?

Pr. Khalifa Chater

 

Comment définir le régime tunisien ? Du point de vue formel, les deux piliers de la démocratie (la souveraineté du peuple et le suffrage universel) sont assurés. Mais qu’en est-il dans les faits ? Comment définir la gestion gouvernementale ?

Le pouvoir exécutif est détenu par le président la république, qui a dissout le parlement, nommé un nouveau gouvernement et procédé à de nouvelles élections, en application de la nouvelle constitution, qu’il a rédigée et fait adopter. De fait, il exerce seul le pouvoir, dans le régime semi présidentiel, qu’il institué et établi.

Qu’il s’agisse de la présidence de la République, de la présidence du gouvernement ou encore des ministres, nous sommes face à un pouvoir muet, un pouvoir qui ne communique pas avec son peuple, un pouvoir qui ne communique pas avec les médias. Un pouvoir muet mais non silencieux. Vu son absence de communication, le pouvoir politique serait ‘‘pathologique’’.

La popularité du président est évidente :  mais les ministres ne sont guère connus. Reçus régulièrement par le président, ils appliquent ses directives. Il s’agirait de hauts fonctionnaires, mais sans assises politiques. Est-ce à dire que la Tunisie post révolution annihile l’action politique, dont elle était censée être porteuse ? Est-ce l’air du temps ?

Des partis existent sur scène. Mais elles jouent plutôt un rôle d’apparat. Certains observateurs parlent de ‘‘partis fantômes’’. Nahdha, le parti islamiste, est remis en question, suite à la décennie de crises de son gouvernement. Les formations gauchistes sont minoritaires. Seul le parti destourien semble sortir du lot. Mais isolé, il n’a pas pu annihiler le relai du parti de Qardhaoui, qui veut imposer le califat rétrograde, en Tunisie.

Les acteurs politiques sont certes présents ; mais ils n’ont pas d’ambitions politiques. L’élite aurait déserté la vie politique. Le jeu des médias a plutôt un caractère démonstratif. Malgré leurs taux d’écoutes, ils semblent prêcher dans le vide.

Disons plutôt que le populisme dominant a dégradé l’élite.  Peut-on parler d’un pouvoir des muets, puisque la population ne semble pas exercer du pouvoir ? Ultimes revendications, sa critique de la hausse de prix, du couffin de la ménagère et de sa prise en compte de la pénurie des denrées essentielles, telles le sucre, le lait, le café et l’huile. Mais ses vœux restent lettres mortes.

En réalité, le pouvoir a peu de moyens d’actions, vu la crise financière, la nécessité d’emprunt, la gravité des enjeux régionaux et l’interventionnisme, tous azimuts ? Ses demandes urgentes au FMI, sont restés sans suite. Pourrait-il occulter les exigences de l’institution financière mondiale ? Le pouvoir tunisien s’accommode des réalités. Le jeu démocratique s’inscrit nécessairement dans ce contexte.

Etat hypothéqué, d’une ‘‘démocratie illébérale‘’, selon la définition de Fereed Zarkane, puisque l’exécutif domine la scène ? Sous de telles apparences, nous pouvons parler d’une démocratie littérale ou formelle, qui s’accommode de cette situation.

Les élections de la pénurie

Pr. Khalifa Chater

 

Une nouvelle Assemblée de 161 députés doit remplacer celle que le président Kais Saied avait gelée le 25 juillet 2021, arguant d'un blocage des institutions démocratiques issues de la première révolte du Printemps arabe, après la chute de Ben Ali en 2011. Or, ces élections ont été boycottées par la majorité des partis politiques (Ennahdha, PDL, Courant Démocratique etc.). Toutefois, quelques individus ayant appartenus à des partis actifs durant la transition démocratique (Nidaa Tounes, Mouvement Echaab), se présentent à ces élections.

Or, les Tunisiens ont boudé ces élections. Le président de l'autorité électorale, Farouk Bouasker, a annoncé un maigre taux de participation de "8,8 %". Il s'agit de la plus faible participation électorale depuis la Révolution de 2011 après des records (près de 70% aux législatives d'octobre 2014) et c'est trois fois moins que pour le référendum sur la Constitution l'été dernier (30,5%), déjà marqué par une forte abstention. La désaffection est plus grande chez les femmes (moins de 12% des candidats), dans un pays attaché à la parité. Il s’agit d’un ‘‘séisme politique’’, comme l’affirme le Front de salut national, une coalition d'opposants dominée par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha.

Comment interpréter cette donne électorale ?  Le président de l'autorité électorale, Farouk Bouasker a reconnu un "taux modeste mais pas honteux", estimant qu'il s'expliquait par "l'absence totale d'achats de voix (...) avec des financements étrangers", contrairement au passé, selon lui. Peut-on l’attribuer au nouveau mode de scrutin, sur les personnes individuelles et non sur des listes de candidats, représentants des partis ?

Le président Kais Saied voulait mettre un point final au processus enclenché par son coup de force de juillet 2021, ces élections faisaient partis du système politique qu’il voulait instituer. Cette abstention record traduirait-elle un échec du président ? Son discours n’aurait pas été, selon certains, convaincant. D’ailleurs, des partis politiques se sont empressés de demander sa démission. Avant le vote, la puissante centrale syndicale l’UGTT avait jugé ces législatives inutiles. Est-ce à dire, que la gestion politique présidentielle devrait mettre à l’ordre du jour une pause de réflexion. Le chef du Front de salut national, une coalition d'opposants dominée par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, Ahmed Néjib Chebbi, a appelé le président à « quitter ses fonctions immédiatement » après l’annonce de la forte abstention. D’autre part, IE Front de salut national estime que Kaïs Saïed a perdu toute légitimité. Il l’appelle à ‘‘réunir toutes les forces politiques pour en discuter’’. 

Ne faut-il plutôt considérer les enjeux de l’actualité tunisienne. Alors que la révolution tunisienne revendiquait ‘‘la liberté, l’emploi et la dignité’’, les Tunisiens réclament désormais ‘‘le sucre, le lait, le café’’ et autres revendications alimentaires.  Depuis des mois, la crise économique est la préoccupation majeure des 12 millions de Tunisiens, avec une inflation de près de 10% et des pénuries récurrentes de lait, sucre ou riz. On aurait donc affaire à des élections de pénurie.

Autre facteur pouvant expliquer la désaffection : les candidats, pour moitié enseignants ou fonctionnaires, étaient pour l'essentiel inconnus.

Fait grave, le pouvoir se retrouve délégitimisé et très affaibli dans ses négociations avec le FMI autour d’un prêt crucial pour une économie en crise. Est-ce à dire que la Tunisie vit une conjoncture ‘‘d’incertitude après le fiasco des élections’’ (Le Monde, 18 décembre 2022). En tout cas, cette forte abstention exprime une grande déception tunisienne. Il s’agirait d’un message de désaveu. En tout cas, le parlement élu, dans ces conditions, manquerait de légitimité.

D’autre part, le parlement institué est bien affaibli. Ls futurs députés ne constituent plus un pouvoir mais une ‘‘fonction’’, mais en plus, la nouvelle constitution ‘‘ultra-présidentialiste’’ ne leur assure aucun moyen de contrôler les actions du chef de l’exécutif, encore moins de le destituer en cas de violation grave de la constitution. Ces mêmes députés eux, peuvent être révoqués par leurs électeurs.