Au-delà du stand-by

Pr. Khalifa Chater

L'économiste maghrébin, du 05 au 19 février 2020

 

On est dans le flou, l’imprévu, sinon l’inattendu. La Tunisie est en stand-by, en situation d’attente. Après l’échec de Habib Jemli et  usant de son pouvoir discrétionnaire, que lui confère la constitution, le président Kais Said a chargé Elias Fakhfakh de former le gouvernement. Le chef du gouvernement nominé n’a ni assises parlementaires, ni représentation au parlement. D’autre part, le retour de ce ministre de la troïka suscite de l’inquiétude. Comment peut-il éviter le scénario de l’échec, qui a marqué ses deux précédentes gestions gouvernementales ? Pouvait-il faire du nouveau avec du vieux ? Ultime exigence, définir une vision d’avenir, pour ouvrir de nouvels horizons.

Quel programme mettrait-il à l’œuvre ? Formerait-il un gouvernement de continuité ou de rupture ? Les élections présidentielles ont affirmé le dévoilement de la fausse conscience de la classe politique et rappelé les attentes des citoyens. Le président de la République et le chef du gouvernement nominé ont promis d’en tenir compte. Des politiciens parlent du gouvernement de la dernière chance, avant même de connaitre  son programme. Recommandation du président, il faut accorder la priorité  à “la question socio-économique, aux services de l’éducation et de la santé, à l’emploi et à la fidélité à la jeunesse” (entretien du président, la télévision nationale, 30 janvier 2020). Ce qui atteste le souci du président d’être à l’écoute du peuple et de faire valoir ses volontés.

Le programme annoncé par le chef du gouvernement nominé fait davantage valoir les valeurs (discours du 31 janvier). Ses priorités : la restructuration de l’Etat, la réforme de l’enseignement et de la santé, l’élaboration d’une stratégie agricole et le développement du partenariat avec l’Afrique, concernent plutôt le moyen et le long terme. Elias Fakhfakh parle de la Tunisie des années 40. La question de la numérisation, -  moyen plutôt qu’objectif en soit, permet  d’appréhender  la situation globale. Or, elle  est évoquée, par le chef de gouvernement,  comme moyen de développer l’emploi. Les situations d’urgence : pouvoir d’achat, amélioration du vécu et du quotidien, ne dépassent pas les effets d’annonce. Aucune solution n’est préconisée, pour le  traitement de la question du bassin minier. Le chef du gouvernement nominé, remet, d’ailleurs, le traitement des priorités à une task force, une force opérationnelle, dont il annonce l’éventuelle formation.

Le candidat à l’investiture affirme sa volonté de “construire l’Etat”. Il exagère et surestime son rôle, alors que la situation exige plutôt de restaurer son fonctionnement, en connaissance de ses mécanismes. Il occulte en fait le modèle de développement qu’il annonce, se contentant d’évoquer plutôt une activation du processus économique.

Autre fait important, Elias Fakhfakh pourrait-il sortir de son isolement et se constituer une ceinture parlementaire commode. Après l’échec d’Habib Jomli, la plupart des partis ont accordé  au nouveau candidat, un préjugé favorable. Alors que le parti destourien, a affirmé son opposition, à cet ancien allié de Nahdha, Qalb Tounes, qui dispose de 38 députés se retrouve exclu, par le nouveau pouvoir. Elias Fakhfakh, affirme unilatéralement “le garder dans l’opposition” et confirme disposer d’une alliance gouvernementale de dix partis. Ce qui lui permettrait de disposer de plus de 160 membres. Mais il s’agirait plutôt d’un compromis conjoncturel, “d’une compromission”, selon certains observateurs. En réalité, certains partis ont émis des réserves. Nahdha souhaite un gouvernement d’union nationale et ne comprend pas le rejet de Qalb Tounes. Les autres paris ont critiqué le programme gouvernemental. Le chef du gouvernement a dû présenter des amendements. Mais l’absence de timing des programmes annoncés n’est pas en mesure de satisfaire les protagonistes. D’autre part, l’annonce d’une politique sociale d’envergure est en contradiction avec le libéralisme économique défendu par Eliyas Fakhfakh, au cours de sa campagne présidentielle. D’ailleurs, il a bel et bien affirmé qu’il s’en tient à son programme présidentiel, se contentant de l’amender (discours du 31 janvier). Mais la peur de la dissolution du parlement et d’un retour aux élections inciteront les députés à voter l’investiture. Constat d’évidence, “Les idées fausses, quand on les trouve commodes, personne n’a le courage de les changer” (Alberto Bevilaqua, La Khaliffa, Editions Plon, 1966). Mais l’accord pourrait-il se poursuivre après l’investiture ? Ne risquera-t-on d’avoir un gouvernement fragile, incapable d’assurer la stabilité, sinon d’engager “des réformes douloureuses”, qui requièrent un consensus ?

N’oublions pas la rue. Elle multiplie les sit ing et les manifestations de colère. “Nos conditions de vie se sont dégradés, depuis la révolution. On vivait beaucoup mieux”, affirme-t-on volontiers. “Tant que les pommes de terres coutent plus de 400 millimes et qu’on ne peut même pas se payer une chachouka”. L’inflation, conséquence de la chute du dinar  affaiblit le pouvoir d’achat. Or, la révolution ne peut s’accommoder du déclin social. Il faut mettre à l’ordre du jour une véritable transition économique, corollaire de la transition démocratique.

Un contrat social devrait être mis à l’ordre du jour, dans le cadre d’une nouvelle vision d’avenir. Les échecs gouvernementaux, la politique du laisser faire du pouvoir, ont nourri le populisme politique, remettant en cause les élites, occultant la pensée politique et les débats qu’elles suscitent. L’Etat n’est pas un arène politique, confiné au partage du butin. Il faut mettre une politique socio-économique agressive, dans le cadre d’un véritable choix de modèle de développement. Elias Fakhfakh pourrait-il être le joker d’un changement de logiciel, pour le salut de la Tunisie d’aujourd’hui et la  promotion de la Tunisie de demain ? Commentant le discours de programme du nouveau chef de gouvernement, un observateur affirme : “Il a une bonne connaissances des mécanismes de l’Etat. Cela ne suffit pas. Mais il peut mieux faire ”. Espérons que cet optimisme prudent soit partagé.


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