Les élections de la pénurie

Pr. Khalifa Chater

 

Une nouvelle Assemblée de 161 députés doit remplacer celle que le président Kais Saied avait gelée le 25 juillet 2021, arguant d'un blocage des institutions démocratiques issues de la première révolte du Printemps arabe, après la chute de Ben Ali en 2011. Or, ces élections ont été boycottées par la majorité des partis politiques (Ennahdha, PDL, Courant Démocratique etc.). Toutefois, quelques individus ayant appartenus à des partis actifs durant la transition démocratique (Nidaa Tounes, Mouvement Echaab), se présentent à ces élections.

Or, les Tunisiens ont boudé ces élections. Le président de l'autorité électorale, Farouk Bouasker, a annoncé un maigre taux de participation de "8,8 %". Il s'agit de la plus faible participation électorale depuis la Révolution de 2011 après des records (près de 70% aux législatives d'octobre 2014) et c'est trois fois moins que pour le référendum sur la Constitution l'été dernier (30,5%), déjà marqué par une forte abstention. La désaffection est plus grande chez les femmes (moins de 12% des candidats), dans un pays attaché à la parité. Il s’agit d’un ‘‘séisme politique’’, comme l’affirme le Front de salut national, une coalition d'opposants dominée par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha.

Comment interpréter cette donne électorale ?  Le président de l'autorité électorale, Farouk Bouasker a reconnu un "taux modeste mais pas honteux", estimant qu'il s'expliquait par "l'absence totale d'achats de voix (...) avec des financements étrangers", contrairement au passé, selon lui. Peut-on l’attribuer au nouveau mode de scrutin, sur les personnes individuelles et non sur des listes de candidats, représentants des partis ?

Le président Kais Saied voulait mettre un point final au processus enclenché par son coup de force de juillet 2021, ces élections faisaient partis du système politique qu’il voulait instituer. Cette abstention record traduirait-elle un échec du président ? Son discours n’aurait pas été, selon certains, convaincant. D’ailleurs, des partis politiques se sont empressés de demander sa démission. Avant le vote, la puissante centrale syndicale l’UGTT avait jugé ces législatives inutiles. Est-ce à dire, que la gestion politique présidentielle devrait mettre à l’ordre du jour une pause de réflexion. Le chef du Front de salut national, une coalition d'opposants dominée par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, Ahmed Néjib Chebbi, a appelé le président à « quitter ses fonctions immédiatement » après l’annonce de la forte abstention. D’autre part, IE Front de salut national estime que Kaïs Saïed a perdu toute légitimité. Il l’appelle à ‘‘réunir toutes les forces politiques pour en discuter’’. 

Ne faut-il plutôt considérer les enjeux de l’actualité tunisienne. Alors que la révolution tunisienne revendiquait ‘‘la liberté, l’emploi et la dignité’’, les Tunisiens réclament désormais ‘‘le sucre, le lait, le café’’ et autres revendications alimentaires.  Depuis des mois, la crise économique est la préoccupation majeure des 12 millions de Tunisiens, avec une inflation de près de 10% et des pénuries récurrentes de lait, sucre ou riz. On aurait donc affaire à des élections de pénurie.

Autre facteur pouvant expliquer la désaffection : les candidats, pour moitié enseignants ou fonctionnaires, étaient pour l'essentiel inconnus.

Fait grave, le pouvoir se retrouve délégitimisé et très affaibli dans ses négociations avec le FMI autour d’un prêt crucial pour une économie en crise. Est-ce à dire que la Tunisie vit une conjoncture ‘‘d’incertitude après le fiasco des élections’’ (Le Monde, 18 décembre 2022). En tout cas, cette forte abstention exprime une grande déception tunisienne. Il s’agirait d’un message de désaveu. En tout cas, le parlement élu, dans ces conditions, manquerait de légitimité.

D’autre part, le parlement institué est bien affaibli. Ls futurs députés ne constituent plus un pouvoir mais une ‘‘fonction’’, mais en plus, la nouvelle constitution ‘‘ultra-présidentialiste’’ ne leur assure aucun moyen de contrôler les actions du chef de l’exécutif, encore moins de le destituer en cas de violation grave de la constitution. Ces mêmes députés eux, peuvent être révoqués par leurs électeurs.


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