Tchad, l’épreuve de la succession

Pr. Khalifa Chater

 

La mort d’Idriss Déby le président du Tchad a provoqué un choc dans son pays. Le flou règne encore sur les circonstances exactes de ce décès. Il n’existe pas de version officielle et détaillée de sa mort. L'armée affirme qu'il serait mort suite à une blessure contractée dans le nord du Kanem, en affrontant les rebelles du Fact, mais elle ne donne pas plus de précision. Cette version est vraisemblable. Idriss Deby est un militaire, qui a souvent participés aux opérations militaires contre les rebelles.

La dictature du maréchal : Ce vaste territoire de 1.284 000 kilomètre carré, et peuplé de près de 16 millions d’habitants, a accédé comme la plupart des ex-colonies françaises, le 11 août 1960 à la souveraineté nationale et internationale. Mais l’histoire politique des quatre dernières décennies a été marquée par de nombreux coups d’Etat et autres tentatives de déstabilisation des institutions du pays.

Le 13 avril 1972, François Tombalbaye, le premier président, fut assassiné lors d’un coup d’état militaire. Huit ans plus tard éclate la guerre civile de 1979. Idriss Déby a pris le au pouvoir en 1990 après avoir renversé la dictature d’Hissène Habré, dont il fut le chef d’état-major. Il devint un souverain absolu. Autoproclamé maréchal, il règne en maitre dans le pays, Il avait placé sa famille ou des proches à des postes-clés de l'armée, de l'appareil d'État ou économique, et ne laissait jamais les autres longtemps en place. Dix-sept Premiers ministres se sont succédé entre 1991 et 2018, avant qu'Idriss Déby ne fasse supprimer cette fonction pour ravir toutes les prérogatives de l'exécutif.

Déby bénéficiait notamment au soutien politique et militaire de la France qui le considère comme un allié stratégique dans la lutte contre le terrorisme en Afrique subsaharienne.  Ce chef de guerre devint de fait "le gendarme du Sahel".

Une transition militaire : La constitution prévoyait un intérim du président de l’assemblée, appelé pour remplacer le président défunt. Mais le pouvoir fut confié à un comité de militaire de transition, composé de quinze généraux et présidé par Mahamat Idriss Déby le fils de l’ancien président, nommé comme président par intérim. D’autre part, le conseil militaire a publié une nouvelle charte, censée remplacer la constitution. Déby fils pourra-t-il assurer une continuité sans heurts ? « Ce n'est absolument pas une garantie de stabilité. Il faut attendre de voir comment les forces armées vont réagir. Est-ce qu'il va pouvoir s'imposer à une armée de généraux plus âgés ? Est-ce qu'il va réussir le pari de cette transition ? » s'interroge Caroline Roussy, chercheuse Afrique à l'Institut de relations internationales et stratégiques. Plusieurs groupes d'opposition, notamment au sein de la diaspora, ont dénoncé un « coup d'État » et appelé à ne pas reconnaître la « junte militaire ». Ils demandent l’établissement d’un régime civil.

D’autre part, le gouvernement de transition pourrait-il réussir l’affrontement avec la rébellion, arrivée depuis le Nord, région frondeuse très liée à la Libye voisine. Le 11 avril dernier, jour de l'élection présidentielle, le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (Fact), a lancé une offensive avec des véhicules lourdement armés, depuis la Libye. Entrés par un poste frontalier de douane de la région du Tibesti, ils ont pour objectif de conquérir la capitale 1 000 kilomètres plus loin. Dès lundi, les rebelles du Fact avaient donné une liste de plusieurs officiers tués, parmi lesquels un certain « colonel Idriss Déby Itno », le dernier grade que lui reconnaissaient ses détracteurs, le dernier grade que lui reconnaissaient ses détracteurs.  Ils ont annoncé mardi qu'ils comptaient poursuivre leur offensive vers la capitale. La stabilité du Tchad ne semble plus à l’ordre du jour.

La France perd un grand allié. Elle comptait sur l'armée tchadienne pour la lutte anti djihadiste au Sahel, aux côtés de la force Barkhane, dont le QG est installé à N'Djamena. La France a trois bases militaires au Tchad. « Déby a mis en place une des armées les plus solides d'Afrique centrale, avec entre 40 000 et 65 000 soldats. Une armée crédible, bien formée », explique Caroline Roussy. « C'est un cycle d'instabilité qui est ouvert au Tchad, avec de possibles répercussions sur l'ensemble de la région », conclut-elle (Tchad : cinq points clés pour mieux appréhender l’après-Déby, Le point, AFP, 22 avril 2021). Soucieux de sauvegarder son alliance, Emmanuel Macron se rendra d'ailleurs lui-même aux funérailles de M. Déby, le 23 mars. Mais l’opposition tchadienne dénonce déjà, l’intervention française, en faveur de Derby fils.


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